« Fils de souk »

Jadis, cette formule pouvait s’apparenter à une insulte. Mais combien d’insultes sont devenues compliments (bête, tueur, …) ? Pour cause, les valeurs glissantes de la société qui « évoluent » vers une destination anonyme.

Le prophète, paix et salut sur lui, illustre ce glissement des valeurs dans un hadith : « Que seriez-vous si vous ne recommandez plus le convenable et ne chassez plus le blâmable ?…Pire !…Que seriez-vous si vous ordonnez le blâmable et chassez le convenable ?… Pire !… Que seriez-vous si vous voyez le convenable un blâmable et le blâmable un convenable ?  »[1]

Quelle idée de revenir sur cette expression qui date de plusieurs décennies ! Elle m’évoque pourtant l’actualité du moment, où l’on dénonce la marchandisation de l’être humain.

« Fils de souk » apporte l’idée d’un enfant laissé pour compte, sans famille ou issu d’une famille qui n’assume pas ses responsabilités. De ce fait, il subit la loi du marché où il rode dès son jeune âge pour survivre. Une scène affligeante ! Dans cet environnement agressif et intrusif, loin de l’amour et la protection d’une vraie famille, l’enfant s’imprègne dans la douleur et la souffrance de nouvelles valeurs. Transmises par des marchands dans l’exercice de leurs négociations, ces valeurs le transforment souvent en un fâcheux sans scrupule.

Certains parents initiaient savamment leurs enfants à la logique du souk en leur permettant d’exercer un petit commerce. Une initiation judicieuse qui fait office de vaccin pour mieux apprivoiser ce champ et le distinguer du champ de la famille qui elle devait rester imperméable à la logique du profit et du plus fort.

Mais le souk[2] domine aujourd’hui, ses fils propres ou adoptifs gouvernent. Ils font la loi et produisent les valeurs. Le monde est apprécié et façonné à leurs goûts. Les valeurs de la famille sont mises à mal. L’autorité des parents est contestée au profit de l’autorité des marchés. De la petite télé d’antan à l’ère des réseaux sur tablettes, rien n’échappe à l’ordre mercantile. Le marché a pris le relais de l’éducation et la transmission des valeurs. La famille est honorée dans les limites de sa rentabilité : vendre les grandes bouteilles de soda, se faire une image de « fils de famille », assurer une stabilité sociale pour les ressources humaines. A juste titre, un président est élu si d’abord il est rentable. L’environnement est d’abord un marché, le développement durable une question de partage de profit. Le corps humain intègre les logiques marchandes et présage un marché juteux. La nanotechnologie et la bioinformatique sont en voie de rendre ce rêve réel. On parle de processeurs et disques durs à protéines, de circuits informatiques à greffer dans le cerveau humain pour booster ses performances.

Comment faire pour résister au marché avilisseur de l’être humain ? Celui qui nous arrache nos enfants du fond même de leur foyer familial ? La réforme à apporter relève du domaine des valeurs. Ce domaine intime à chacun et qui fonde notre œuvre. Les régimes politiques ont de moins en moins de marge. Peu compte la façon de gouverner tant que les intérêts des marchés restent intouchables. Parler de renverser la vapeur c’est déjà ne pas se résigner face à un modèle humain consumériste et le faire évoluer vers une issue. C’est substituer intimement les logiques de profit et de domination qui animent nos fors intérieurs par d’autres qui favorisent plus de partage et de retenue.

Lire aussi :

Le vilain petit souk !


[1]Hadith rapporté par Ibn Abi Dounya selon Ibn Mass`oud

 قال ابن ابي الدنيا : حدثنا محمد بن ادريس الحنظلي قال : حدثنا سعيد بن عبدالرحمن الدارمي الرازي المقريء قال : حدثنا يعقوب بن عبدالله الاشعري عن هارون بن عنترة عن عبدالله بن السائب عن عبدالله بن مسعود عن النبي صلى الله عليه وسلم قال : كيف أنتم إذا كثرت أمراؤكم وطغت نساؤكم ؟ قالوا : وإن ذلك لكائن يا رسول الله ؟ قال : نعم . وأشد من ذلك. قالوا : فما هو يا رسول الله ؟ قال : لا تأمرون بمعروف ولا تنهون عن منكر. قالوا : وإن ذلك لكائن يا رسول الله ؟ قال : نعم . وأكثر من ذلك. قالوا : وما هو يا رسول الله ؟ قال : لا تعرفون المعروف , ولا تنكرون المنكر . قالوا : وإن ذلك لكائن ؟ قال : نعم . وأكثر من ذلك. قال : يكون المعروف فيكم منكرا , ويكون المنكر فيكم معروفا .

[2] Voir l’article « le vilain petit souk » : http://www.psm-enligne.org/index.php/2011-06-30-23-44-4/articles/2315-le-vilain-petit-souk

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