La course de lévriers

Parmi les événements, appelons-les sportifs, mettant en scène les animaux qui m’ont marqué est la course de lévriers. Elle se déroule dans un cynodrome, piste aménagée pour les courses de chiens. Ici, le gibier placé au bout d’une tige motorisée, est le plus souvent une peluche. Ainsi, à l’arrivée de cette course, les chiens ne trouvent rien, mais un faux gibier ; un mirage.

Nous assistons souvent à des combats de l’ego, de l’amour-propre entre des individus voulant se hisser à la tête de leurs pays ou organisations. Ils n’hésitent pas à utiliser leurs amis comme escabeau pour monter. Cette course ne se limite pas seulement à la lutte pour le pouvoir, de nombreuses personnes ont témoigné de leurs rêves de devenir riches et célèbres. Évidemment, toutes n’y arriveront pas. L’ennui est que même celles qui prétendent atteindre cet objectif s’aperçoivent très vite qu’elles ne sont toujours pas dans la réalité. Leur rêve devient très vite un cauchemar (une vie d’angoisse, de tristesse, de solitude, de toujours plus sans être rassasié, etc.).  Elles retrouvent un mirage et la course au bonheur continue car « leurs actions sont comme un mirage dans une plaine désertique que l’assoiffé prend pour de l’eau. Puis quand il y arrive, il s’aperçoit que ce n’était rien » [1].

Pour se donner un semblant de réussite, on établit alors toute sorte de classement des personnes les plus riches, les plus belles/beaux, les mieux habillés, …du monde. Nous retrouvons dans ce classement de la vanité, des hommes politiques, des sportifs, des princesses, des gens de show-biz ainsi que des acteurs et actrices. Bref, c’est le concours pour ce qui est vain et futile, encore un mirage. Dieu, Exalté, dit : « Par le temps l’Homme est en perdition, sauf ceux qui ont foi et accomplissent les bonnes œuvres, s’enjoignent mutuellement la vérité et s’enjoignent mutuellement l’endurance » [2].

Force est de constater que les musulmans, donc porteurs de cette foi en question dans les versets ci-dessus, ne dérogent pas à cet état de perdition. Sans toutefois généraliser, l’écart entre l’enseignement de l’islam et notre comportement est flagrant. Il y en a parmi nous, des individus accrocs au pouvoir, qui ne lâchent rien pour être toujours à la commande. Des intitulés (imam, mufti, grand mufti, recteurs, etc.) fleurissent afin de se servir de la mosquée pour leur reconnaissance alors qu’il faut être au service de cette dernière. Vouloir être toujours au-devant de la projection est l’une des causes de notre division, provoquant une communauté à plusieurs têtes ; un régal pour nos adversaires et un casse-tête pour nos partenaires potentiels. Quant à la course aux richesses, nous n’avons rien à envier aux autres. Nous faisons augmenter d’une manière déraisonnable les prix dès que nous avons l’opportunité, le pèlerinage en est un exemple. C’est aussi pour la même raison que nous ne rémunérons pas nos partenaires des affaires ou nos salariées à leur juste valeur, voire ne pas les payer du tout, d’où l’injustice qui en découle.

Cependant, l’islam nous enseigne que la réussite se mesure avec la tranquillité du cœur qui passe par l’adoration de Dieu. Cette adoration est basée sur l’amour de Dieu et l’amour en Dieu de Ses créatures. Ce n’est donc pas une question de force contrairement aux groupuscules d’individus qui essaient de tout imposer par contrainte (mode vestimentaire, charia, etc.). Adorer Dieu est une question de conviction. Éduquer les gens pour adopter ce principe et incorporer cette part de sacré dans leur vie sera notre contribution à un monde meilleur. Comme il est difficile de plaire à tout le monde, être utile à quelques-uns sans être nuisible à personne devrait être notre leitmotiv.

Le musulman et le pouvoir

Avoir le pouvoir n’a jamais été l’objectif d’un musulman. En effet, des nobles de Quraych proposèrent au Prophète (paix et bénédiction sur lui) à travers son oncle Abou Talib, alors que ce dernier était sur son lit de mort, un compromis (allant jusqu’à lui donner le plein pouvoir). Le Prophète (paix et bénédiction sur lui) prononça cette phrase qui fait preuve que l’on ne devrait pas imposer l’islam par le haut : « Ô mon oncle ! Je jure par Dieu que même s’ils mettaient le soleil dans ma main droite et la lune dans ma main gauche pour me faire renoncer à cette affaire, je n’y renoncerais jamais jusqu’à ce que Dieu la fasse triompher ou que j’y perde la vie » [3]. Faire comprendre aux gens que notre but ou ambition n’est pas le pouvoir permettra peut-être le relâchement de la pression médiatique négative sur nous. Nous ne sommes pas avide du pouvoir ni de la richesse d’ailleurs. Notre espoir est que Dieu nous permet de rallumer le résidu de la flamme de la foi qui se trouve en chacun(e).

Par contre, si jamais Dieu nous confie le pouvoir, puisqu’Il élève qui Il veut [4], nous devrons en faire bon usage pour garantir la spiritualité et l’équité à l’image d’Abou Bakr (que Dieu l’agrée et soit satisfait de lui). Son discours [5] d’acceptation de la responsabilité démontre la mission d’un leader, le droit et le devoir de ceux qui sont sous sa responsabilité. Des leçons à tirer de ce discours incluent :

1– Ne pas candidater.
2– Être convaincu de ne pas être le meilleur. Attention, ce n’est pas la modestie mais la certitude que nous ne sommes pas à la hauteur de la tâche sauf avec le soutien de Dieu et sous la surveillance des citoyens conscients de leur rôle. C’est le fait d’avoir l’impression que nous pouvons accomplir une mission, voire mieux que d’autres que nous sommes attirés par la responsabilité. Être sûr que nous ne sommes que des instruments dans la main de Dieu, et être reconnaissant si Dieu met le résultat au bout de nos efforts. Ceci fait partie des sens à donner au verset « lorsque tu lançais (une poignée de terre), ce n’est pas toi qui lançais : mais c’est Dieu qui lançait » [6].
3– Faire régner la justice et l’équité quelque soit le rang social de l’oppresseur et de l’opprimé.
4– Ne pas se mettre au-dessus de la Loi et être disponible aux conseils des sages.
5– Garantir le droit à la spiritualité, source de bonheur.
6– Perpétuer l’héritage de la prophétie.

Ainsi, le pouvoir n’est pas une passion en islam, c’est un devoir. Quiconque arrive au poste de responsabilité, que ce soit au niveau d’un état ou d’une organisation, devrait bien méditer ceci. Le lien entre le pouvoir, l’unité et l’obéissance est bien résumé dans cette phrase d’Omar ibn al Khattab (que Dieu l’agrée et soit satisfait de lui) : « Il ne peut y avoir d’Islam sans unité, aucune unité sans direction (ou guide) et aucune direction sans obéissance ».

Le musulman et l’argent

Si l’ambition pour le pouvoir pourrait concerner quelques-uns, la course aux richesses nous tente tous d’une manière subtile ou subliminale. Nous allons parfois très loin jusqu’à l’injustice en privant l’autrui de son droit en pensant que ceci nous enrichira plus, ce qui est absolument faux car nous ne pouvons jamais dépasser ce que Dieu nous a prescrit [7]. C’est aussi l’un des facteurs de notre absence du terrain d’action. Souvent, nous nous contentons de la contribution financière (et encore !) en oubliant la participation ou la présence physique. Trouver l’équilibre entre l’activité professionnelle et l’engagement au sein de la communauté est pourtant indispensable car nous avons besoin de tout le monde en cette période où le monde se cherche. Le don financier est nécessaire mais insuffisant, l’appel a besoin d’argent et de la présence.

L’autre face de cette pièce est composée des gens qui profitent largement du marché communautaire sans renvoyer la balle. Ils se font beaucoup d’argent, entre autres, sur le marché du pèlerinage ou de l’alimentation halal sans la contribution financière ni la présence aux projets concernant la communauté. « Je n’aimerais point posséder l’équivalent du Mont Uhud en or et qu’au bout de trois jours j’en garde encore un seul dinar sans l’avoir dépensé pour la cause de Dieu, sauf quelque chose que j’épargne pour ma religion » [8] disait le Prophète (paix et bénédiction sur lui), car nous n’avons rien à gagner en étant la plus riche du cimentière.

Nous sommes la communauté du juste milieu. Ce juste milieu est synonyme de l’équilibre, donc difficile à tenir à l’image du marcheur sur la corde raide qui doit rester attentif, concentré, focalisé, sans s’éparpiller. Pour nous, l’objectif est la Vie dernière et la rencontre avec notre Seigneur. Rien ne doit nous distraire de cela.

L’épilogue

L’amour-propre fait que nos actions ne sont plus désintéressées. Nous voulons le pouvoir et l’argent pour nous par n’importe quel moyen. La conséquence est la division de la communauté et le désamour entre nous. La raison principale est que nous avons oublié la vraie valeur de ce monde malgré de nombreux rappels :

« Et tout ce que vous dépensez de vos biens sera à votre avantage et vous ne dépensez que pour la recherche de la Face « Wajh » de Dieu. Et tout ce que vous dépensez de vos biens dans les bonnes œuvres vous sera récompensé pleinement. Et vous ne serez pas lésés » [9].

Le Prophète SWS a dit « Dieu Très Haut dit : Ô fils d’Adam, abandonne-toi à mon adoration, j’enrichirai ton cœur et je te tirerai de ta misère, sinon, je te laisserai toujours travailler et je ne comblerais jamais ton besoin » [10].

« Si quelqu’un fait le monde son objectif, Dieu mettra la pauvreté devant ses yeux » [11].

« Ne soyez pas trop matérialiste, sinon vous serez absorbés par le monde » [12].

« Si la valeur de ce monde était égale aux ailes d’un moustique aux yeux de Dieu, Il n’aurait pas permis à un incrédule même une seule petite gorgée d’eau » [13].

« L’exemple de la valeur de ce monde en comparaison de celui de la Vie dernière est comme si vous plongez un doigt dans l’océan et le retirez ensuite. Ainsi, voir combien d’eau s’y adhère » [14].

Cependant, nous continuons nos chemins dans l’insouciant à la recherche de la gloire terrestre. Nous oublions que dans la course de lévriers, le gagnant est toujours un chien !  Mais Dieu ne nous a pas créés pour mener une vie bestiale.

« Dis : Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu. Car Dieu pardonne tous les péchés. Oui, c’est Lui le Pardonneur, le Très Miséricordieux » [15].

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Notes :

[1] – Le Coran, chapitre 24 verset 39.

[2] – Le Coran, chapitre 103 versets 2-3.

[3] – C’était en l’an 10 de la révélation. Alors que les persécutions des musulmans atteignaient le sommet mais sans faire plier le Prophète (paix et bénédiction sur lui) et les compagnons (que Dieu les agrée et soit satisfait d’eux), les Quraychites pensaient pouvoir arriver à leur fin en proposant au Prophète (paix et bénédiction sur lui) jusqu’à devenir leur roi. Le Prophète (paix et bénédiction sur lui) aurait pu accepter afin de profiter de l’autorité pour enfin imposer l’islam en toute tranquillité. Il en était rien. Le Prophète (paix et bénédiction sur lui) préféra l’éducation du peuple afin de parfaire leur comportement. Ainsi, l’approche qui consisterait à vouloir prendre le pouvoir et imposer la sharia ensuite ne serait pas la manière idéale pour éduquer les citoyens et leur faire prendre conscience du devenir de l’homme après la mort.

[4] – Le Coran, chapitre 3 verset 26

Dis : « Ô Dieu, Maitre de l’autorité absolue. Tu donnes l’autorité à qui Tu veux, et Tu arraches l’autorité à qui Tu veux ; et Tu donnes la puissance à qui Tu veux, et Tu humilies qui Tu veux. Le bien est en Ta main et Tu es Omnipotent ».

[5] – Muhammad Hamidullah : « Le prophète de l’islam – sa vie, son œuvre ». Editions AEIF – 1989. Tome II, pages 995-1003.

Le Professeur Muhammad Hamidullah (que Dieu lui fasse miséricorde) a détaillé le processus qui a abouti à la désignation d’Abou Bakr (que Dieu l’agrée et soit satisfait de lui) comme le successeur du Prophète (paix et bénédiction sur lui). Voici la traduction du discours d’Abou Bakr (que Dieu l’agrée et soit satisfait de lui) telle que présentée en page 1001.

« Peuple ! J’ai été choisi comme votre chef, bien que je ne sois pas le meilleur parmi vous. Donc, si j’agis bien, aidez-moi, et si j’agis mal, corrigez-moi. En effet, la véracité est la confiance, et le mensonge est l’abus de confiance. Or le faible [opprimé] parmi vous est fort à mes yeux, jusqu’à ce que j’obtienne pour lui son droit ; et le fort [oppresseur] parmi vous est faible à mes yeux, jusqu’à ce que je lui arrache ce qui est le droit ; tout cela par la volonté de Dieu. Ecoutez ! Il n’y a aucun peuple qui néglige de lutter pour la cause de Dieu, qui ne soit pas frappé d’humiliation de la part de Dieu ; et l’immoralité ne se répand pas au sein d’un peuple, sans que Dieu ne l’afflige d’une calamité générale. Obéissez-moi, tant que j’obéis à Dieu, et à Son messager ; sitôt que j’ désobéis à Dieu, et à Son messager, vous ne me devez plus aucune obéissance. Levez-vous pour l’office ; que Dieu vous soit miséricorde ! »

[6] – Le Coran, chapitre 8 verset 17.

[7] – Hadith, rapporté par Abdullah ibn Mas’ud, recueilli par al-Bukhari et Muslim.

« La conception de chacun d’entre vous, dans le ventre de sa mère s’accomplit en quarante jours ; …. Un Ange lui est envoyé, il y insuffle l’esprit vital, et reçoit l’ordre d’inscrire quatre décisions [le concernant] à savoir : ce qui lui est imparti comme biens et nourriture, délai de vie, actes et condition heureuse ou malheureuse…. »

[8] – Hadith, rapporté par Al-Ahnaf bin Qais, recueilli par Al-Bukhari.

[9] – Le Coran, chapitre 2 verset 272.

[10] – Hadith Qudsi, rapporté par Abou Houraira, recueilli par At-Tirmidhi.

[11] – Hadith, rapporté par Abdullah bin ‘Amr, recueilli par Ibn Majah.

[12] – Hadith, rapporté par Abdullah bin Mas’ud, recueilli par At-Tirmidhi.

[13] – Hadith, rapporté par Sahl bin Sa’di,  recueilli par At-Tirmidhi.

[14] – Hadith, rapporté par Mustawrad bin Shaddaad, recueilli par Muslim.

[15] – Le Coran, chapitre 39 verset 53.

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