Comment la campagne a dépassé le simple clivage «laïcards»/«islamogauchistes»

Les prises de position et les approches des candidats sur la laïcité et l’islam révèlent plusieurs clivages qui, parfois, s’entrecroisent.

De manière inédite, une «campagne à cinq», et finalement, à quatre, s’est installée à l’approche du premier tour de l’élection présidentielle, dans le cadre de laquelle s’affrontent des candidats qui espèrent tous accéder au second tour. Cette offre éclatée brouille la lisibilité des clivages habituels, ce que nous avons étudié sur un thème précis: les positions des candidats et de leurs équipes de campagne sur les problématiques religieuses. Sont-elles concentrées sur la laïcité? Servent-elles uniquement à évoquer l’islam sans en avoir l’air? Ou au contraire, ces thèmes identitaires sont-ils assumés comme des points de différenciations susceptibles de faire basculer les électeurs?

1.Hamon/Fillon: l’islam au cœur des batailles des Primaires

La campagne présidentielle qui s’achève est le produit de rapports de force qui se sont imposés à l’issue de deux batailles internes à droite et à gauche qui ont eu lieu lors de leurs primaires respectives. Les profils des candidats du PS et des Républicains qui ont triomphé de cette épreuve sont situés chacun à une extrémité de l’axe qui polarise les positions sur la laïcité. Pour sa part, la gauche a préféré le candidat le plus souple, reléguant Manuel Valls dont les sorties sur l’islam étaient devenues trop clivantes pour la base électorale de la primaire. L’ancien Premier ministre s’était emparé de la question de la radicalisation religieuse, n’hésitant pas à s’exprimer sur un sujet comme le voile en affichant son incompatibilité supposée avec la société française, tout en se réclamant d’intellectuels –comme Elisabeth Badinter ou Caroline Fourest– dont il ne pouvait ignorer qu’ils seraient perçus comme des signaux d’alerte par une partie de l’électorat militant.

Lors de l’entre deux tours, c’est d’ailleurs cette carte de l’épouvantail islamogauchiste que Manuel Valls va utiliser sans scrupule contre son rival, dans le cadre d’un débat largement pollué par le reportage très relayé de France 2 sur l’exclusion des femmes dans les lieux publics de villes de banlieue. Un reportage par la suite contesté et qui a fait l’objet d’une contre-enquête par le Bondy Blog. Les excès de Valls dans la dernière ligne droite expliquent-ils pourquoi Benoît Hamon l’a emporté? Sans doute pas, en tout cas pas uniquement.

Une fois la primaire gagnée, la polémique va d’ailleurs évoluer en se fixant sur la complaisance supposée de son porte-parole Alexis Bachelay avec des organisations islamistes. Après cette séquence houleuse, Hamon tente de redresser le tir pour effacer ce qui a pu être perçu comme une gêne sur les atteintes à la laïcité. Dans sa «réponse à Charlie», après que l’hebdo satirique ait interpellé les candidats sur leurs engagements en faveur de la laïcité, le candidat rappelle son attachement à la loi de 1905, «fruit précieux d’un savant et riche compromis auquel le Président de la République, en tant que garant des institutions, doit rester fidèle.»

«Mais je serai aussi, ajoute-t-il, le président d’une République bienveillante, dont la force est une source de liberté et d’émancipation, plutôt que de contrainte et de stigmatisation.»

Le positionnement de sa campagne aura consisté à traiter la thématique de manière transversale pour qu’elle irrigue ses positions sans constituer un «pôle» spéficique ni être représentée par un référent sur les questions religieuses. Une conviction qui marque là encore une volonté de conciliation –de naïveté, lui reprocheront ses adversaires. Ainsi la mesure innovante du programme de Benoît Hamon consiste à mettre en place un numéro vert qui doit permettre de résoudre les conflits liés à la pratique religieuse dans une logique d’information et de médiation. «Dans la pratique, écrit-il dans sa lettre à Charlie Hebdo, beaucoup de problèmes de coexistence ont pu être réglés dans le dialogue ou le rappel des principes.»

«Il y a un problème lié à l’islam»

La compétition était à fronts renversés quelques mois plus tôt lors de la primaire de la droite et du centre. Dans cette pré-élection en miroir de celle de la gauche, ce sont les positions plus «modérées» ou «ouvertes» qui ont coûté la victoire à «Ali Juppé», selon le surnom dont la fachosphère l’a affublé. Le maire de Bordeaux va succomber face à un François Fillon beaucoup plus affirmé sur sa droite, avec à la fois un programme de rigueur économique et une ligne identitaire sobre sur la forme mais proche sur le fond de celle de Nicolas Sarkozy en 2012. N’a-t-il pas écrit, dans un livre paru en septembre 2016 pour installer sa ligne sur le sujet, qu’«Il n’y a pas de problème religieux en France. Il y a un problème lié à l’islam»?

Dans son programme présidentiel, Fillon dégage deux axes «pour une laïcité assumée»:

«Conforter notre conception de la laïcité et lutter fermement contre le totalitarisme islamique».

«Les phénomènes de radicalisation de grande ampleur que nous avons connus depuis trois ans […], lit-on encore dans son programme, ne sont pas dépourvus de racines religieuses –fussent-elles perverties. La réponse à ces déviances de l’islam appartient pour une large part, dans un état laïc, aux musulmans eux-mêmes et au premier chef à leurs responsables.»

2.Macron, laïc sur la crête

La campagne a mis en lumière un espace politique encombré, parfois brouillé. Parmi les questions récurrentes, où placer l’Ovni Emmanuel Macron sur l’axe habituel qui oppose les tenants d’une laïcité stricte à ceux qui plaident pour une laïcité ouverte ou de compromis, pour employer une alternative entrée dans le langage médiatique? Dans l’hebdomadaire protestant Réforme, le leader du mouvement En Marche! explique qu’il «essaie de tenir ce chemin de crête qui consiste à refuser de faire de la laïcité quelque chose qui exclut, ou qui viserait à construire une religion républicaine, sans rien céder pourtant à l’angélisme.»

Pour Didier Casas, conseiller d’État en charge des dossiers «régaliens» d’En Marche!, «l’islam n’est plus une religion importée et est compatible avec la loi de 1905 qui ne privilégie aucun culte». En même temps, selon l’expert, le problème principal est «l’utilisation de la tolérance religieuse pour propager une lecture intégriste de telle ou telle religion».

La laïcité, toute la laïcité, rien que la laïcité? C’est l’équation «républicaine» (la République est souvent invoquée par Emmanuel Macron lorsqu’il s’aventure sur le terrain religieux) que veut tenir Macron, fidèle à son ni-gauche ni-droite qui, au gré des circonstances, a pu évoluer vers un et-gauche et-droite. Par exemple avec le refus de tout accomodement perçu comme «communautariste», un épouvantail français dont le candidat et son équipe aiment montrer qu’ils s’en méfient. En matière de fête religieuse, «on ne souhaite pas instaurer des jours fériés correspondant aux fêtes religieuses de telle ou telle autre religion, explique encore Didier Casas, ce qui correspondrait à accepter une forme de communautarisation du calendrier, chaque religion ayant en quelque sorte “son” jour férié. Ce qui n’empêche pas les uns ou les autres de pouvoir prendre un jour de congé les jours de fête religieuse.»

Le voyage en terrain miné d’Emmanuel Macron aura été un quasi sans faute. Dans la dernière ligne droite, il devra tout de même éteindre un début de polémique à propos du responsable de son mouvement (le «référent») dans le Val d’Oise, Mohamed Saou, jugé pas suffisamment «Charlie» par ses détracteurs.

Source : http://www.slate.fr/

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