« Un bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil »

Tous les 6 ans, nous élisons nos maires et conseillers municipaux. Nous votons pour une liste qui constitue l’équipe municipale. La mairie prend des décisions sur certains domaines qui nous impactent directement. Le maire est également le garant de l’application des lois au niveau local qui garantissent le vivre ensemble. Enfin, la mairie s’occupe de la répartition des services publics ainsi que de leurs modalités de mise en œuvre (éducation, transports, certaines aides sociales, police municipale…). Donc voter pour les élections municipales, c’est décider pour son quotidien et choisir les orientations futures de la ville dans laquelle nous vivons.

 

Or, voter est devenu une banalité affligeante, qu’on ne peut s’étonner que les citoyens votent de moins en moins, et surtout souvent sans convictions. Un rappel historique du droit de vote n’est pas l’objet de cet article. Mais il serait bon de rappeler que ce droit est le résultat d’un combat éprouvant qui fait qu’un citoyen puisse participer à choisir la société dans laquelle il souhaite vivre. Au regard de l’histoire de la France et des autres pays occidentaux, le vote est un droit de citoyen mais ne peut être légalement forcé. De ce fait, peut-on affirmer que l’on a le devoir moral de voter ? Pour cela, il faudrait s’assurer que le droit de vote est pleinement reconnu par le citoyen, et qu’il a un sens pour lui. Car sans ce sens, le droit et le vote lui-même n’ont pas lieu d’être. Or, on sait que le vote dans le cadre de la démocratie, entendue comme le pouvoir de l’opinion du peuple, est l’expression des satisfactions de l’individu séparé des besoins de la collectivité. Comme le prévoit la procédure, l’entrée dans l’isoloir et la remise du bulletin de vote est un réel souhait à nature individuelle. Le citoyen qui vote est individu semblable à un autre et égal aux autres par le simple fait qu’il vote, mais de façon séparé. Tocqueville disait à cet égard : “L’égalité place les hommes à côté les uns des autres, sans lien commun qui les retienne”.[2] Donc il ne suffit pas pour convaincre de déclarer le caractère moral du droit de vote, pour en faire un devoir pour le citoyen.

Paradoxalement, c’est en accomplissant un acte individuel dans l’isoloir que le citoyen se retrouve lié aux autres citoyens qui accomplissent le même acte pour des raisons complètement différentes. C’est par l’acte de voter que l’individu sort de son égoïsme et participe à l’intérêt de la collectivité. Et pour que le devoir moral de l’acte de voter soit entièrement assimilé, il ne faut pas en rester à la remise de vote car la démocratie, au sens plein du mot, ne se réduit pas au vote électif. Il s’agit d’une exigence morale de la part de l’électeur.

Dans l’Islam, le spirituel et le temporel ne sont pas deux domaines distincts, et la nature d’un acte, quelque temporelle que soit sa portée, est déterminée par l’attitude d’esprit avec laquelle il est exécuté. Un acte est temporal ou profane s’il est effectué dans un esprit détaché de l’infinie complexité de vie qui lui est sous-jacente ; il est spirituel s’il est inspiré de cette complexité. La société, du point de vue islamique, est un effort en vue de transformer l’idéal en forces spatio-temporelles et une aspiration pour le mettre en œuvre dans une organisation humaine déterminée. Ainsi, on comprend que tous ce qui est profane est sacré dans les racines de son être et que toute participation sociétale doit être un effort en vue d’actualiser le spirituel dans une organisation humaine.

Pour moi, électeur, mon vote n’a de sens moral et islamique que parce qu’il symbolise mon intérêt pour la Nation. Mon acte profane de vote acquière une valeur morale et spirituelle que si mon vote est un acte singulier, fort, dans une chaîne d’actes et de choix. Voter me renvoie à la responsabilité que j’exerce envers les autres dans ma famille, ma profession, ma commune, et envers mon Seigneur. Cette responsabilité envers la collectivité ne s’arrête pas à mon action ; elle doit s’étendre au devoir de réflexion sur la société pour faire de cette organisation humaine le lieu d’actualisation du spirituel auquel j’adhère par ma foi. En conséquence, cela requiert du musulman qu’il soit témoin en vue du Bien commun et qu’il ait un engagement non seulement moral envers son pays, mais fraternel à l’égard des autres, les plus proches comme les plus lointains.

 


[1]Abraham Lincoln – discours, 1856

[2] De Tocqueville, A., De la Démocratie en Amérique, Œuvres complètes, tome premier, Gallimard, Paris, vol. II, p. 109.

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