Un retour acerbe

Ces vacances s’annonçaient différentes. L’état du monde et des pays arabes y était pour quelque chose. Tout semblait rentrer dans l’ordre trois ans après la révolution. Mais le coup d’état égyptien avait remis de l’huile sur le feu. Tout avait rebasculé.

L’attente était longue avant le retour à ce pays qu’elle n’avait pas vu depuis six longues années. La révolution l’avait balayé depuis et des brises de changements se faisaient sentir. Elle s’imaginait aller dans un autre pays. Comment un peuple qui se révolte contre un système, ne puisse rien faire pour que les choses s’améliorent ?

Les côtes apparaissaient peu à peu depuis le hublot de l’avion. Rien n’avait changé, les gens étaient au bord des plages par ce temps d’été. Mais… La couleur de la terre avait changé. C’est comme si tout avait brûlé ! Une terre d’un rouge immaculé. Comme si les rayons du soleil l’avaient consumée. Un sentiment étrange l’envahissait tout à coup. Et si ce séjour ne se passait pas comme prévu.

La voix du pilote la ramena à la réalité.

Tout lui parlait dans ce pays qu’elle avait connu pendant très longtemps. Mais, au fond elle ne connaissait pas vraiment ce peuple. Une mentalité étrange. Des regards pesants. Une liberté d’expression retrouvée, certes, mais une vraie pensée libre n’existait pas. Une répression sociale s’exerçait tacitement dans les rues, dans les marchés et les transports.

Tout le monde portait un jugement sur tout le monde sans parler du torrent de commentaires politiques qui se déversait à chaque coin de rue. Chacun avait un avis sur tel ou tel personnage politique et tel ou tel parti. Tout cela lui semblait comme le flot de paroles qu’un enfant déversait dès qu’il découvrait sa capacité à parler. Un flot de paroles démesuré sans en percevoir le sens.

Après 23 ans de dictature, d’opinions étouffées, de pensée muselée et de regards vides, le temps était au lâcher prise et au « tout est permis dans un monde libre » !

Les premières minutes furent pour elle presque euphoriques. Heureuse de retrouver une terre qu’elle n’avait pas vue depuis si longtemps. Une terre qui l’avait vue grandir même si elle était née ailleurs. Un pays qui lui avait offert ses premiers sens. L’odeur du jasmin caressait la brise du soir aux portes de la vieille médina émanant d’un « machmoum » bien assemblé sur l’oreille d’un vieil homme habillé en « Jebba » traditionnelle, de babouches blanches et assis au café de la porte de Kairouan. Quel spectacle ! Elle regardait cette grande rue qu’elle avait tant empruntée avec ses amis et sa famille. Du temps où elle se rendait à cette librairie pour acheter les ouvrages qu’elle cherchait. Elle y était retournée. Les visages avaient changé mais pas les pierres du vieux sol de la médina bâtie par la civilisation Aghlabide.

« J’y suis finalement retournée, je n’arrive pas à le croire. » se disait-elle. Ses pieds foulaient ces rues et son visage se réchauffait de ce soleil qui ne brille ainsi qu’ici. Elle aimait ce pays, et elle ne savait pas pourquoi… Non. Elle savait très bien. Mais il a tellement changé ou peut être a-t-elle grandi et le voyait-elle avec des yeux plus lucides et plus réalistes.

Le retour à la contrée reculée, là où tout a basculé dans la condition des peuples arabes, fut marquant pour elle. C’est dans cette région que les effets de la révolution se font le plus sentir. Des barrages d’habitants désespérés étaient quotidiens sur les routes.

Dans la voiture, avec ses proches, la tension montait. Voilà la réalité maintenant. Une peur qui te prend dès que tu t’éloignes. Tout peut arriver. Ce jour-là, dans cet arrière-pays, le souffle était étouffé et les espoirs s’éloignaient.

Elle visita cette maison où elle passa son enfance avec sa grand-mère décédée depuis vingt ans. La maison était vide, sans âme depuis qu’ils sont partis. Cette demeure qui avait connu les rires et les aventures de son enfance, était devenue un squat pour les jeunes du coin. Les livres scolaires de son père étaient éparpillés sur le sol, comme si la liberté retrouvée rimait avec vengeance du savoir. La cuisine n’avait gardé de son nom que la cuisinière et un bout de lard séché que sa grand-mère utilisait pour mieux apprécier ses plats. Ses larmes coulèrent, mais elle ne voulait pas les montrer à son père. Elle le regardait et scrutait sa réaction. On avait brûlé sa chambre depuis son dernier passage, il y a quelques mois. Son regard était vide et il étouffait ses larmes. Qu’est-ce qui pouvait lui arriver de plus grave après avoir perdu ses parents ?

Heureusement que la tombe de son grand-père n’avait pas été déplacée ! Son grand-père reposait là, en dessous ! « Notre sort à tous. » murmurait-elle. Un havre de calme au milieu de ce raffut. Les gens aspirent au bonheur matériel, à l’argent ! C’est une religion ici ! C’est ce qui amplifiait sa peur. Elle ne trouvait personne à qui elle pouvait parler et chez qui elle pouvait prendre des nouvelles. Elle, qui depuis six ans n’était pas venue, allait repartir sans avoir rien pris. Mis à part le sourire et la tendresse de sa grand-mère, la seule qui lui restait dans ce monde d’insensibilité.

Elle puisa encore et encore dans ses forces pour glaner les gouttes de son affection pour finalement se dire que ces vacances avaient tout de même un noble dessein, celui de préserver les liens du sang.

 

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