Pour une éthique de la consommation

A travers le Coran et la Tradition prophétique, le croyant ne cesse d’être appelé à la quête de l’excellence  morale et spirituelle, à la maîtrise de l’ego et la recherche de la juste mesure en toute circonstance. La consommation demeure au centre de cette préoccupation puisqu’elle reflète notre nature profonde, mais aussi et surtout l’état de notre conscience de Dieu, de nous-mêmes et de notre environnement. L’acte de consommer n’est donc pas relégué au rang de simple réflexe quotidien et/ou biologique mais peut (et doit) devenir un acte de conscience, de résistance et de foi. Cet article, améliorable et loin d’être exhaustif, se veut donc un simple rappel de principes susceptibles de guider notre mode de consommation, d’autant que la notion de halâl (licite), « avant d’être un questionnement sur la nourriture, est d’abord un questionnement sur la relation avec la spiritualité, sur les relations avec les êtres humains ainsi qu’avec le monde animal et végétal ». (1)

Renouveler son intention

« Les oeuvres ne valent que par les intentions qui les sous-tendent ». (2) Tout acte, aussi banal et naturel soit-il, peut être sublimé par la bonne intention et devenir une adoration agréée de Dieu. Le moindre geste anodin peut ainsi revêtir une dimension vertueuse, spirituelle, et c’est par ce niveau de conscience et de présence à Dieu que se distingueront les fidèles.

Eviter les excès

« Et mangez et buvez ; mais ne commettez pas d’excès. Dieu n’aime pas ceux qui commettent des excès ». (Coran, VII/31). Si ce verset souligne explicitement la nécessité de se détourner de toute démesure, il est plus difficile de le mettre en pratique dans une société moderne orientée vers un matérialisme qui ne tolère aucune limite. L’hédonisme ambiant nous pousse à la consommation irréfléchie tout en nous incitant à croire que le plaisir réside dans le fait de consommer ce qui n’est pas nécessaire. Il devient alors difficile de résister aux nouveautés, d’autant que la publicité stimule la convoitise chez l’acheteur compulsif et l’insatiabilité. Mais il est nécessaire, voire primordial, d’apprendre à lutter contre son instinct acquisitif, celui qui pousse à consommer toujours davantage au-delà de tout besoin raisonnable et réel.

Limiter son gaspillage

Le Coran fustige le gaspillage, quelles que soient son échelle et la forme qu’il prend. Un nombre incalculable d’actes du quotidien peuvent donc être concernés par cette mise en garde, tel que notre rapport à la nourriture (ne pas s’empresser de jeter dès lors que le produit atteint sa date de péremption, de nombreux produits sont consommables des mois après leur supposée date limite), mais aussi l’eau (que l’on utilise lors des petites et grandes ablutions, la toilette, la vaisselle) ou encore l’électricité, utilisées à outrance et parfois même… inutilement.

Purifier notre consommation par le don et la charité

Notre consommation peut devenir un acte de foi et de générosité si l’argent dépensé se voit investi dans les bonnes oeuvres utiles et durables, à savoir l’aumône et la bienfaisance. Le Prophète (paix et salut de Dieu sur lui) a dit à ce propos : « L’aumône efface l’erreur comme l’eau éteint le feu ». (3)

Fuir le superflu

Si l’Islam n’incite pas à la pauvreté et à l’extrême dénuement, il cultive toutefois chez le fidèle un certain détachement sentimental du bas-monde ainsi que le rejet pur et simple de l’esprit thésaurisant et cupide. En approfondissant sa relation à Dieu, le fidèle devient chaque jour plus conscient qu’il n’est dans ce bas-monde que de passage. Il apprend alors à se contenter du strict nécessaire en évitant les dépenses ou acquisitions inutiles.

Donner une seconde vie aux objets

Adhérer à ce mode de consommation contribue activement à la réduction de la quantité de déchets polluants, tout en permettant de réaliser quelques économies. Réparer, donner, repeindre ou recycler sont autant de gestes à adopter et à transmettre au quotidien.

Privilégier les produits issus de l’agriculture biologique et favoriser les circuits courts

Acheter des produits de saison issus de l’agriculture biologique (et dans la mesure de nos moyens, directement auprès de producteurs locaux), permettra de conserver l’intérêt nutritif et gustatif que les produits importés et pesticidés n’auront jamais (tant leur apport qualitatif est faible) en préservant l’environnement et en soutenant l’économie locale.

Bannir les produits nocifs

Dieu nous ordonne de ne consommer que ce qui est pur. D’ailleurs, « notre corps est l’instrument de notre félicité ou de notre perdition. Il faut l’accepter comme le don de Dieu et en prendre grand soin » (4). Boissons gazeuses, bonbons, gâteaux ou encore pâtes à tartiner sont autant de produits qui nuisent considérablement à notre santé et à l’environnement. Et si cette nocivité ne se perçoit pas de façon immédiate sur notre organisme, elle se développe sournoisement pour ne se manifester que des années plus tard à travers diverses maladies aux conséquences irréversibles (diabète, cancers etc.).

Restreindre sa consommation de viande

Le label halâl des supermarchés et des boucheries ne constitue malheureusement pas une stricte garantie des normes islamiques et ce, même dans leur définition la plus restreinte. Les conditions d’abattage, atroces et insupportables, sont indubitablement et rigoureusement proscrites par l’Islam. Il serait donc judicieux, à défaut de pouvoir vérifier la provenance de la viande et les véritables conditions d’abattage, d’en restreindre significativement sa consommation, ce qui n’en sera que meilleur pour notre organisme et notre environnement.

Bannir les fastfoods

Les fasfoods sont devenus des lieux fréquentés à outrance, et bien souvent par des familles qui y voient une occasion de faire plaisir aux enfants tout en profitant d’un service rapide et pratique. Or, il s’agit d’un des cas les plus flagrants de la consommation non-éthique au regard des conditions de travail du personnel, de la qualité diététique et nutritionnelle nocive des produits (le plus souvent issus d’élevages intensifs irrespectueux de l’environnement et des animaux) et enfin en raison de leur filiation aux groupes multinationaux, aux pratiques et aux alliances plus que douteuses voire criminelles. Militer pour la Palestine en sirotant du Coca-Cola n’est autre que le comble du paradoxe…

Boycotter les produits issus de la colonisation (campagne BDS) et ceux qui proviennent de l’exploitation des enfants

Consommer dans un état de présence à Dieu, de conscience et de résistance aux injustices et à la corruption implique aujourd’hui plus que jamais l’action de boycott de certains produits et de certaines entreprises. Car il n’est effectivement pas sans savoir qu’un grand nombre de produits  sont issus de terres spoliées à leurs propriétaires et/ou fabriqués dans des conditions d’exploitation infrahumaines. Vérifier leur provenance et se renseigner sur leur confection  devient alors un acte de vigilance essentiel pour ne pas tomber dans l’indifférence et l’irresponsabilité.   

Boycotter les marques

Consommer en fonction des marques (qui ne sont bien souvent pas un gage de qualité contrairement à la propagande véhiculée) est un acte de soumission et d’aliénation totale à l’industrie publicitaire et à ses experts en marketing. Des budgets colossaux sont ainsi investis pour parvenir à conditionner nos cerveaux, façonner nos goûts et nous asservir en faisant de nous et de nos enfants de parfaits consommateurs ignorants et dociles. Financer les marques revient aussi à cautionner voire contribuer activement au renforcement de la puissance de firmes multinationales sans scrupules qui ne jurent que par le profit et qui participent largement à la destruction de l’homme et de son environnement. La puissante industrie Nestlé (pour n’en citer qu’une seule) décime des forêts entières en utilisant dans ses produits des quantités titanesques d’huile de palme, se sert directement (et gratuitement) dans les nappes phréatiques de pays en voie de développement (privant ainsi des villages entiers d’eau potable) tout en exploitant sans vergogne ses travailleurs, dont un grand nombre d’enfants. Il est donc indispensable de veiller à l’origine de nos acquisitions. L’organigramme ci-après permettra de mieux visualiser les différentes filiales de ces géants de l’agroalimentaire : http://www.apli-nationale.org/TELECHARGEMENTS/organigramme-10-agroalimentaires-72dpi.jpg

Fuir les temples de la consommation

Incarnation du matérialisme et du consumérisme effréné, les temples de la consommation que sont devenus les centres commerciaux et autres galeries marchandes, sont littéralement et systématiquement pris d’assaut indépendamment de réelles nécessités d’achats. Ils se sont rapidement transformés en des lieux d’attraction que l’on fréquente seul ou entre amis pour des « après-midis lèche-vitrines » ou pour profiter des soldes… Or, le temps consacré à ces temples du profit pourrait se voir investi dans des activités qui fructifient la foi et l’intelligence tout en créant des liens de convivialité entre les hommes : nature, mosquées, bibliothèques, sport… Le concept de sobriété heureuse développé par Pierre Rabhi démontre à ce propos que le système actuel crée un état permanent de dépendance chez les consommateurs et que la surabondance, au-delà de l’aliénation qu’elle suscite, ne procure aucune véritable satisfaction intérieure. Il est donc aujourd’hui essentiel de revenir à des sources plus simples et plus saines de bonheur.

La notion de halâl se révèle finalement bien plus globale qu’il n’y paraît. Le simple fait de consommer se doit de devenir un acte de foi, un moyen d’élévation morale et spirituelle, une brique dans le projet de transformation sociale et une arme de résistance aux valeurs dominantes du matérialisme et du consumérisme aveugle et aveuglant. Il est donc aujourd’hui plus que jamais fondamental de passer du paradigme qui place la consommation au centre de l’humanité à un paradigme plus moral, plus en adéquation avec les valeurs éthiques et spirituelles qui nous caractérisent.

Notes

1. Brahami, Mostafa, Le Halâl, Spiritualité, connaissance et éthique, Albouraq, 2014.

2. Hadith rapporté par Al Bukhâri, Muslim.

3. Hadith rapporté par Ahmed, Tirmidhi, Ibn Mâja.

4. Yassine, Abdessalam, La révolution à l’heure de l’Islam, 1990.

Un commentaire

  1. Bravo pour cet article. Trop de personnes gaspillent sans aucun état d’âme, achètent juste pour posséder, sans réelle nécessité et jettent, jettent, jettent sans même penser qu’on pourrait donner. Revenons à l’essentiel !

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