La spiritualité aux sources d’une société fraternelle

Ce texte est l’intervention d’Ismahane Chouder : Formatrice en école de journalisme. Présidente du Collectif Féministes Pour l’Egalité, Vice-présidente de la Commission Islam et Laïcité et membre de PSM, lors de la plénière une de la “Rencontre avec PSM” le 7 mai 2016 sous le thème “La spiritualité aux sources d’une société fraternelle”.

Sommes-nous prêts à assumer les relations fraternelles ? Sommes-nous prêts à nous voir beaux, belles, et rayonnants ? Certains sont très dérangés par cette idée. Cela vient du fait que cela comporte une responsabilité, celle de vivre et de prendre sa place pleinement.

Je veux commencer par rappeler un certain nombre de principes forts et immuables. Notre humanité est une. Et ce quelles que soient nos origines, nos appartenances, avec ou sans religion et/ou spiritualité. Égale valeur, égale dignité, égale considération, égal respect et égal traitement de tou-te-s. Une société fraternelle c’est une même communauté de destin. C’est donc avec la même force, la même indignation, la même résistance que nous devons refuser et dénoncer toutes les oppressions. Clamer et réclamer une même dignité pour tou-te-s.

Etes-vous de celles et ceux qui ignorent les railleries et suivent l’appel du cœur sans se soucier du qu’en-dira-t-on ? Etes-vous de celles et ceux qui pensent que la meilleure façon d’avoir une réponse aux interrogations est de se rendre compte par soi-même, en allant voir ?

Renoncer à avoir une vie programmée et annoncée d’avance. Dans un roman d’Henri Gougaud, L’homme à la vie inexplicable, le personnage principal voit sa vie s’orienter chaque jour vers des aventures qu’il ne souhaitait pas. Il avait d’autres projets. Et les circonstances en ont décidé autrement pour lui. J’avais d’autres projets. Et Dieu en a décidé autrement pour moi. En acceptant de nous laisser guider, nous avons découvert une vie bien plus formidable que celle que nous avions programmée.

Alors, oui, notre monde va mal. Nos sociétés vont mal. La liberté, l’égalité, la fraternité sont mises à mal. La violence, la mort, la guerre totale et permanente sont partout.

Et pourtant nous sommes ici aujourd’hui, réunis, aussi nombreux, dans notre diversité parce que les raisons d’espérer existent. Chacune, chacun d’entre nous ici présents peut faire en sorte d’être une de ces raisons d’espérer.

Je souhaite aborder 3 idées fortes.

1) De la difficulté d’évoquer la spiritualité dans une société qui pense ne pas en avoir besoin.

Nous savons la nécessaire présence de la spiritualité dans notre quotidien mais nous devons faire le constat de sa claire marginalisation au sein de nos sociétés, qui par peur dans le meilleur des cas ou par instrumentalisation idéologique dans le pire, entretiennent l’ignorance et le rejet sur le seul registre identitaire. Ce qui en découle c’est une injonction récurrente à l’effacement.

La crise du sens agite nos sociétés à divers titres, et ses troubles sont divers : crise économique et sociale,  promotion de l’individualisme, promotion du profit et de la performance, radicalisation de toutes natures. L’analyse de ces phénomènes, par pléthore d’experts, s’opère à travers de nombreuses disciplines : économie, psychologie, sociologie,  anthropologie, etc., dont il est difficile de faire la synthèse.

Force est de constater que la dimension spirituelle de l’être humain est occultée.

Celles et ceux qui se réclament d’une spiritualité (surtout musulmane par les temps actuels n’est-ce pas) risquent gros ! Jugés naïfs, illuminés ou prétentieux, hors-sol, déconnectés…

Une appréhension qui survient lorsque nous nous avançons sur ce chemin, est de nous sentir différents des autres et isolés. Nous sortons du moule politico idéologique, celui des conventions et des règles du marché qui semblent aller de soi et qu’il est incongru de remettre en cause. Alors, que nous, justement, nous sommes dans la remise en question et la révision permanente de nos croyances et de nos certitudes. Alors que le moule social est pensé pour nous, pour notre sécurité, nous prenons la responsabilité de notre vie et nous assumons le chemin nouveau. Il nous semble alors – dans un premier temps – que nous avançons seul, sans soutien et sans protection et c’est très inconfortable.

Cette spiritualité exigeante requiert un effort continu. La spiritualité permet une libération : au cœur de nos sociétés de consommation, elle rappelle la responsabilité et exprime l’idée d’une nécessaire discipline personnelle pour simplement apprendre et savoir vivre ensemble. Chacune rappelle que le cheminement intime et individuel est un préalable à l’équilibre collectif et social. Affirmer cela aujourd’hui n’est ni évident ni simple face à la logique d’un système qui emprisonne le sens et la valeur dans le calcul du seul rendement et de l’efficacité.

2) Le chemin de la spiritualité : « Le code divin du cœur humain »

Dans la relation à soi, la spiritualité fait appel à l’intériorité de l’Homme. Elle invite chacun à entrer dans un processus humanisant et réhumanisant, à donner sens à sa vie et à s’accomplir.

Dans la relation aux autres, cette spiritualité invite à l’écoute des autres et porte à donner, à contribuer, à échanger et à recevoir. Elle se caractérise par des dispositions d’être telles que l’ouverture aux autres, la solidarité, la dignité, la justice, l’amour, la fraternité, la compassion…

Elle formule une exigence : S’intéresser à l’Homme et participer à « la Vie »

Cette spiritualité conduit à refuser l’inhumain et à relever des défis dans une espérance à vivre et à partager. Elle nous donne l’assurance que le monde peut être transformé et que les hommes ont à y être acteurs. Elle nous encourage à croire que nous pouvons agir collectivement, oser une action insérée dans la durée, réussir un développement solidaire et participer à la construction d’un monde selon le plan de Dieu.

La spiritualité transforme notre état intérieur. Elle transforme aussi nos sensations, nos perceptions. Transformant ainsi notre regard du monde et notre façon d’être au monde et dans le monde. Nous portons le monde en nous !

3) Pour une spiritualité de l’engagement et de la responsabilité.

« Spiritualité » dans le sentiment de beaucoup évoque les couvents et les retraites. Le mot évoque la solitude. Si nous décolonisons ce mot et lui restituons sa mémoire islamique, il évoquera pour nous exactement le contraire.

Etre pour la spiritualité c’est avant tout aménager un avenir humain à l’homme.

Il s’agit donc de renouvellement de la spiritualité à l’échelle de l’individu et d’une lutte pour l’instauration d’une société égalitaire et juste.

Nous voulons une spiritualité en prise directe avec le concret, avec un réel souci d’autrui et de transformation des conditions de vie des personnes.

Loin, très loin, d’un discours incantatoire ou désincarné, notre spiritualité prend tout son sens, fait sens, dans la relation avec les autres pour concourir à faire société ensemble dans le but de construire sur le beau, le juste, le vrai… La Spiritualité nous habite et habite notre relation aux autres.

Notre moteur, c’est l’engagement ; notre carburant, c’est la spiritualité ; notre méthode, c’est opérer en nous la mutation que nous souhaitons pour le monde.

Le chemin de la spiritualité, Dieu nous l’indique dans ce verset de la sourate Les Abeilles : « Dieu vous ordonne la justice sociale  et le perfectionnement spirituel.»

C’est ma spiritualité qui me permet de mobiliser mon identité musulmane, toujours ouverte, toujours inclusive, toujours en mouvement.

Les musulmans appartiennent à « une communauté spirituelle » basée sur des principes qui s’enracinent dans la conscience intime que l’on n’est jamais aussi près de Dieu que lorsque l’on lutte contre l’inhumanité des hommes.

Nous avons besoin de citoyens, d’intellectuels, de politiques, de femmes et d’hommes, qui – de toutes les nationalités, toutes les appartenances et croyances – osent ensemble. Pour prendre ses responsabilités dans la recherche de solutions concrètes. Nous avons tous une part de responsabilité, Nous avons besoin d’êtres humains responsables et courageux qui refusent le simplisme des lectures binaires, «eux contre nous», et développent une attitude fondée sur des valeurs universelles partagées.

Mais les discours ne suffisent pas. Il faut travailler ensemble. Il faut des femmes et des hommes déterminés et engagés qui, ensemble, brisent les cloisonnements et travaillent à des projets communs. La défense de la citoyenneté égalitaire et commune ; la protection des immigrés, des réfugiés et de leur dignité ; la promotion de l’environnement, la résistance aux politiques sécuritaires qui fracturent nos cohésions nationales et qui ont des conséquences liberticides. Plus fondamentalement, il faut lutter ensemble, et pratiquement, contre le climat ambiant de peur et de suspicion. Oser la confiance, commencer le dialogue et être déterminé à faire avec toutes les bonnes volontés.

Cela commence par ouvrir nos cœurs.

Le projet social n’est toutefois pas une finalité en soi. Ce n’est pas pour des visées terrestres que l’action participative est considérée, mais pour établir la valeur d’équité que nous enjoint Dieu et qui est un des pré-requis de la spiritualité. Ventre affamé n’a point d’oreille dit l’adage. Tout être vivant dans l’indigne et la servitude n’a point de disposition à recevoir les enseignements qui élèvent spirituellement. Il faut au préalable combler les besoins de premières nécessités, dont l’accès ne se fait que par le seul chemin de la justice pour soi et pour le genre humain.

Le projet de société est donc motivé par la responsabilité d’établir un cadre où les gens peuvent connaître Dieu, l’aimer, vivre dans la dignité. Spiritualité et dignité vont de pair.

La spiritualité est bien un défi ; en cette fin de siècle, elle est un acte de résistance pour la promotion de la dignité des hommes, de leur cœur, de leur conscience, de leur intelligence.

Toutes les spiritualités ont un rôle à jouer. L’islam et les musulmans, plutôt que d’être une menace, pourraient, à l’avenir, jouer, avec les autres traditions spirituelles, un rôle de catalyseur positif permettant à nos sociétés de retrouver le sens.

Nous avons, plus que jamais, infiniment besoin de l’autre, des autres. Ensemble nous avons à témoigner de nos convictions humanistes en nous engageant pour le respect des êtres humains et la promotion d’une citoyenneté responsable. La spiritualité est une école de la paix et de la fraternité.

Notre présence, intimement spirituelle, socialement citoyenne, est notre chemin de l’engagement pour donner force et vigueur à l’impératif de l’action de bien et de justice ; pour la promotion d’une société fraternelle.

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