Malika Hamidi : Pour un universel féminin partagé

Ce texte est l’intervention de Malika Hamidi lors de la journée commémorative de la vie et l’œuvre d’Abdessalam Yassine, puisse Dieu l’accueillir dans Sa miséricorde, organisée sous le thème « Pour un universel féminin partagé ».

C’est au cours des années 2000 que l’on assiste à l’apparition d’un nouveau sujet féminin musulman qui aspire à un processus d’émancipation d’abord dans le langage de la religion puis dans une perspective féministe dans l’espace francophone.

L’apparition de cette religiosité d’un nouveau genre s’opère dans la douleur et sous tension étant donné le contexte socio-politique tendu. Après les évènements du 11 septembre nous assistons véritablement au début d’un acharnement  médiatique et politique contre l’Islam, avec la question de la femme musulmane, qui est prise en otage dans les débats politiques mais aussi dans le discours islamique.

C’est à l’aune de ces crispations qu’on voit apparaître de nouvelles formes de militantisme au féminin qui se structurent et s’organisent pour faire face aux enjeux qui se dessinent dans la sphère publique comme dans leur propre communauté de foi.

Islam et féminisme : un nouveau discours sur le genre

Le féminisme et l’Islam semblent contraints à un rapport conflictuel dans les domaines idéologiques et politiques selon certains intellectuel(le)s et militant(e)s. Chacun revendique à la fois une vision de l’émancipation de la femme selon deux courants idéologiques considérés comme profondément contradictoires.

1) Féminisme et islam un concept antinomique ?

De telles interrogations qui restent légitimes, impliquent de cerner et de dépasser les stéréotypes dominants de part et d’autre.

D’une part, ce mouvement, le féminisme dit « islamique », tire sa compréhension d’un paradigme religieux. Or, l’Islam serait l’antithèse des valeurs que prétend défendre un certain courant féministe en Occident.

D’autre part, un certain nombre de femmes musulmanes en terre d’Islam, comme en Occident d’ailleurs, rejette l’appellation de féminisme du fait de la connotation «colonialiste» et occidentale qu’elle comporte.

De plus, l’irruption soudaine de la religion à travers la visibilité du foulard islamique dans la sphère publique est vécue comme une menace qui soumettrait les femmes à une moralité normative imposée par la religion.

Enfin, en France comme en Belgique, les féministes musulmanes questionnent l’universalité du féminisme car elles déconstruisent les théories dominantes pour faire place à la diversité en reconfigurant la « cartographie des féminismes » par leurs revendications politiques et identitaires dans ce désir commun d’une libération à l’égard des structures de domination.

Ces quinze dernières années, le rapport « Islam et féminisme » s’est mis à relever d’un débat passionné et conflictuel à la fois. Ce concept est tantôt controversé, tantôt revendiqué par les tenantes d’un féminisme islamique.

En effet, nous assistons actuellement à l’émergence d’un mouvement de pensée revendiqué par des femmes qui contestent l’idée selon laquelle le féminisme est singulier en soi. Celles-ci ne rejettent dès lors pas l’appellation de féminisme, bien au contraire.

2) Vers une théologie féministe musulmane : Le cadre théorique

D’une part, elles vont démontrer que les théories liées au genre constituent un véritable processus de subjectivation qui peut s’élaborer dans l’épistémologie islamique. Elles abordent le féminisme dans une perspective théorique et une pratique qui questionne les rapports sociaux et dénoncent les inégalités entre les genres dans les sociétés contemporaines musulmanes ou non. Elles s’approprient les idéaux féministes et puisent dans ce courant les outils conceptuels et méthodologiques pour s’émanciper de toute forme de domination. Selon elle, le féminisme comme théorie et comme projet politique, a pour objet l’imbrication des conditions de liberté.

D’autre part, en réquisitionnant la théologie musulmane, elles théorisent une pensée critique en proposant une relecture du corpus religieux à la lumière de l’esprit égalitaire du texte sacré.

Vers un mouvement de pensée et d’action féministe musulman en Occident

1) Féministes et musulmanes: une dynamique de femmes en action :

Les tenantes de cette « rhétorique féministe islamique »[1] sont engagées dans un véritable travail de reconstruction identitaire définissant d’une manière inédite une identité féministe musulmane : une identité hybride qui combine le féminisme et la religiosité. Aussi, la visibilité des signes religieux va exacerber une certaine classe politique et intellectuelle qui se dit progressiste mais qui me semble rétrograde et réactionnaire voire dangereuse.

Et c’est justement cette visibilité qui mine le débat, car, en étant actrices de leur propre histoire, ces figures féministes musulmanes déconstruisent les représentations sociales et les stéréotypes, et la capacité d’agir[2] qui les caractérise a permis de nuancer le débat.

En effet, ces femmes musulmanes mènent cette lutte à la fois contre le « sexisme » au sein de leur propre communauté de foi et de la société civile ; et contre le « racisme » et les discriminations multiples dont elles sont victimes dans les sociétés européennes.

En se positionnant comme féministes musulmanes, elles sont considérées comme des subalternes politiques car elles refusent les frontières qui leur sont imposées.

2) Du local au transnational: émergence d’une « sphère publique féministe musulmane »

A l’ère de la mondialisation, c’est sur le plan transnational que la question est analysée, critiquée et reconstruite à partir de cette identité religieuse et au-delà des frontières : certaines militantes belges  analysent les luttes : partir du local pour aller vers le transnational pour lier les luttes et problématiques de femmes musulmanes entre elles et créer des liens de solidarité. Cela passe par la recherche académique et intellectuelle (herméneutique, approche interprétative contextualisée des Textes) et l’engagement militant.

Ce phénomène crée de nouvelles formes  de questions, de revendications et d’engagement politique du local au transnational. Ainsi que l’émergence d’une nouvelle « société civile » sans frontière qui génère de nouveaux rapports et liens de solidarité entre groupes engagés dans la réflexion à travers le projet du féminisme islamique.

3) Pour un féminisme anticolonial, antiraciste et anticapitaliste

En définitive, cette nouvelle visibilité dans la sphère publique de ces militantes politiques de confession musulmane questionne véritablement la normativité d’une pensée féministe dominante en Occident.  C’est à ce prix qu’il sera possible d’envisager un féminisme décolonisé et anti-impérialiste.

Ce féminisme antiraciste et anticapitaliste est d’autant plus urgent que nous assistons aujourd’hui en Europe francophone à un renouvellement des systèmes d’oppression des femmes sur le plan économique et politique : d’une part les femmes musulmanes sont exclues du marché de l’emploi et donc fragilisées sur le plan économique parce qu’elles portent un signe religieux, d’autre part, l’instrumentalisation politique de la question des femmes à travers « les affaires du voile » en France comme en Belgique a justifié des lois stigmatisantes et islamophobes qui continuent de marginaliser une génération de femmes, alors que ces dernières se sentent pleinement européennes.

Dans cette perspective, il convient de rappeler que l’enjeu pour un féminisme inclusif doit être l’élaboration de stratégies de résistance solidaires afin de contrer ces rapports néocoloniaux entre femmes.

 


[1] Miriam Cook « Critique multiple : les stratégies rhétoriques féministes islamiques », L’homme et la société,trad. de l’anglais par Thiers-Vidal L., vol. 4, n°158, ed. L’Harmattan, 2005, p169-190.

[2] Saba Mahmood, Politique de la piété. Le féminisme à l’épreuve du renouveau islamique, La Découverte, coll. « textes à l’appui », 2009, p 22

Nous empruntons cette expression à Saba Mahmood qui entend redéfinir la notion d’agency (« capacité d’agir » au sein des études féministes qui, du fait d’une obsédante problématique de l’oppression et de la résistance, ne l’envisagent (implicitement) que comme la « capacité [naturelle] de défendre ses propres intérêts, contre le poids des coutumes, de la tradition, d’une volonté transcendante ou de tout autre obstacle, individuel ou collectif»

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